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Présentation de julienne Lusenge au Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies le 25 septembre 2018 à Genève
Monsieur le Président, Directeur de la division HCDH et honorable membres du conseil des droits de l’homme,
Comme vous le savez, mon pays est secoué par une instabilité constante depuis trois décennies. La nuit du samedi à dimanche passée, et même cette nuit la population de Beni, n’a pas dormi et moi-même je n’ai pas dormi, 15 enfants ont été enlevée par le groupe terroriste ADF-NALU, la population innocente de Beni a été égorgée pour la énième fois. Des élections très importantes sont sur le point d’avoir lieu mais elles ne pourront jamais mener à la paix, la stabilité et la prospérité sans une démocratie qui prend en compte toute ses citoyens et les droits de chacun.
En tant qu’activiste pour les droits des femmes, je suis convaincue qu’une démocratie ouverte à tous et à toute commence par l’inclusion des 52% de la population qui ont systématiquement été exclus depuis la période coloniale jusqu’aujourd’hui. Je parle des femmes. En l’absence de femmes parmi les élus, et l’influence qu’elles pourraient avoir en tant que tels, sans féministes à des postes ministérielles, nous ne connaitrons jamais la paix en République Démocratique du Congo. Nous ne connaitrons jamais la stabilité ni la croissance durable.
Permettant d’avoir des élections ouvertes à tous et de ce fait, de pouvoir élire des femmes.
De plus, nous nous devons de réfléchir, non seulement aux résultats du scrutin, mais aussi à ce qui viendra après. Qui construira ? Qui intégrera ? Qui éduquera ? Et qui désarmera ?
Des recherches démontrent que sans l’existence d’une entité à part entière dédiée à l’inclusion des femmes dans la société, il ne peut y avoir de paix, de stabilité ou de croissance durable dans un pays.
J’ai rencontré une fille de 8 ans, lors de ma visite au camp des déplacés à Bunia en Ituri au mois de Mai cette année, avec un bras coupé et une grande cicatrice sur la tête. Elle est devenue responsable de ses petits frères et sœurs après que sa mère ait été éventrée et son bébé jeté par terre, tous deux morts sous le soleil brûlant. Cette petite fille a assisté impuissante aux cris du nouveau-né.
A Tenambo, une localité rurale, au chef-lieu du territoire de Beni, des femmes, meurtries par les ADF, étaient forcées de se lever à 2h du matin pour aller chercher de l’eau et revenaient à 9h et ce jusqu’à ce que nous puissions construire un forage au mois de mai 2018 et distribuer de l’eau dans les quartiers. Pendant leur quête d’eau nocturne, beaucoup de femmes et filles ont été kidnappées, violées ou tuées.
Ces deux exemples montrent que la souffrance de notre peuple accroit chaque jour ainsi que l’insécurité, les massacres, les déplacements forcés, les pillages de nos ressources, les violences sexuelles et sexistes, les mariages précoces, les kidnapping et l’esclavage sexuel…
Mais au milieu de ce sombre tableau, le peuple congolais, les femmes de mon pays gardent espoir et travaillent sans relâche en gardant le sourire. Nous voulons changer notre situation et construire une vraie démocratie pour atteindre les objectifs de développement de 2030. Voilà pourquoi le peuple congolais, et les femmes en particulier, font tout ce qui est en leur pouvoir, chacun de son côté, pour que des élections libres, transparentes et démocratiques aient lieu en République Démocratique du Congo.
Cependant, les élections ne changeront rien si elles ne sont pas accompagnées d’un changement radical et systématique avec les personnes dont les corps ont servi de champs de bataille dans nos conflits, les femmes dont les corps ont été ravagés, maltraités pour des gains politiques ou de ressources quelconques ; et dont on a usé, abusé et usé à nouveau. Des femmes !
Les femmes congolaises ont besoin d’être prises au sérieux dans la vie politique, aux élections et dans le partage du pouvoir qui suit les élections, et grâce à elles, la paix, la stabilité, le bien-être et les droits humains auront de nouveau leur place en République Démocratique du Congo.
Les femmes construisent la paix. Monsieur le président et membre du conseil, nous sommes préoccupées par la situation de notre collègue madame Liberata BURATWA qui est détenue à l’agence congolaise de renseignement (ANR) après une séance de sensibilisation des jeunes à quitter les groupes armés à RUTSURU, une façon pour elle de contribuer à la paix.
Monsieur le Président, le processus électoral avance selon le calendrier publié par la CENI. Mais il s’observe la tension politique comme le refus des machines à voter par certains opposant, certains candidats semblent avoir commencé la campagne ou sont déjà présidents de la République. Il y’a déséquilibre dans l’utilisation des médias et même les informations sur les massacres et les situations désastreuses de la population ne sont pas diffusées.
Tout ceci est à la base des frustrations et nous craignons que ces voix discordantes puissent troubler la paix lors des élections.
Les cadavres n’ont jamais voté, les traumatisés ne peuvent pas opérer un choix pour asseoir la démocratie et le développement.
Monsieur le Président, pour que les élections se déroulent normalement, nous pensons qu’il y a lieu que :
– Le peuple congolais soit sécurisé ;
– La CENI soit attentive et parvienne à aplanir les divergences avec les différents acteurs ;
– Les politiciens de l’opposition doivent faire preuve du réalisme dans ce qu’ils proposent ;
– Les politiciens de la majorité doivent écouter les revendications des uns et des autres, arrêter de diriger par défis pour qu’on arrive aux élections dans un climat apaisé.
– En tant que membre du conseil, le gouvernement de la RDC devra veiller au respect des droits civils et politiques en cette période électorale ; sécuriser la population et restaurer la justice équitable.
Je vous remercie,
JULIENNE LUSENGE